L'interdiction de la mendicité a augmenté la précarité des Rroms

L'interdiction de la mendicité a augmenté la précarité des Rroms

© Sébastien Goetschmann / Libre de droits

Lundi 8 avril, les Rroms de la région lausannoise se sont présentés à la population à l'occasion de la Journée internationale des Rroms.

Depuis quelques années, à Lausanne, la population rrom et les associations qui défendent leurs droits se rassemblent pour vivre la Journée internationale des Roms, le 8 avril. Cette année, les organisations Opre Rrom, Sant’Egidio, Point d’appui et l’Armée du Salut ont organisé une conférence de presse sur le thème « Les Rroms : que sont-ils devenus après l’interdiction de la mendicité ? ».

La loi interdisant la mendicité est en effet entrée en vigueur le 1er novembre 2018. Depuis, la situation des Rroms a beaucoup changé. Si certaines familles, notamment celles hébergées par des Suisses et dont les adultes ont un travail, sont restées dans la région, la plupart ont dû se résigner à partir en Roumanie, en France ou encore en Allemagne. « Dans la région lausannoise, de 2014 à 2018, 18 enfants ont pu être scolarisés dans le cadre du programme Droit à l’école, droit à un avenir », explique Anne-Catherine Reymond, présidente de Sant’Egidio Lausanne. « Au 2 novembre, un seul enfant était encore scolarisé à Lausanne. L’entrée en vigueur de l’interdiction de la mendicité a donc mis un terme au développement du programme. À notre connaissance, dans les familles qui s’en sont allées en France, aucun enfant n’a pu y être scolarisé. Idem pour les quelques familles ayant opté pour l’Allemagne ou la Roumanie. »

 

Éclatement des familles et paupérisation

Loin de lutter contre la précarité, la loi sur la mendicité a au contraire détérioré la situation de ces personnes déjà fragilisées. « Les Rroms veulent travailler », affirme Diane Barraud, pasteure, Point d’appui. « Certains vendaient des fleurs dans les rues ou tentaient de trouver des solutions, puis la police du commerce a cessé de donner les autorisations. La réalité est qu’il n’y pas de travail et qu’interdire la mendicité n’arrange rien. C’est une grave faillite morale de notre société. »

Selon Anne-Catherine Reymond, les conditions de vie des familles partie en France sont pires que dans la région Lausannoise. « Les familles sont obligées de déménager régulièrement, comme la trentaine de Rroms qui a rejoint un camp à Grenoble en espérant bénéficier d’un peu de tolérance. Mais le camp a été démantelé un matin d’hiver et il fallut fuir à Chambéry, Avignon, Montpellier ou en Allemagne. » Cette interdiction de la mendicité a donc comme effet de renforcer le sentiment d’exclusion et de précariser encore plus une population déjà lourdement stigmatisée.

 

Montée de l’anti-tsiganisme

Véra Tchérémissinoff, présidente d’Opre Rrom, a abordé ce qu’elle perçoit comme une recrudescence de l’anti-tsiganisme en Europe. « La discrimination des Rroms n’a pas diminuée dans l’Union européenne, où ils restent des citoyens de seconde zone. En Europe centrale, plus de la moitié des Rroms est au chômage et les autres ont des emplois précaires. En Roumanie et en Bulgarie, la majorité des enfants quitte l’école prématurément et survit dans des ghettos. L’aide européenne ne parvient pas aux populations, à cause d’une corruption endémique. En tant que citoyens européens, les Rroms devraient pouvoir se déplacer librement, mais ils sont le plus souvent expulsés ou ciblés par des lois comme l’interdiction de la mendicité. Tout ce que réclame la population rrom c’est une plus grande volonté politique à faire respecter leurs droits humains. Il n’y a pas de problème Rrom. Il y a un problème de rascisme. »

 

Une loi liberticide

Le 29 mars dernier, un collectif de Rroms et personnalités suisses a déposé un recours contre l’interdiction de la mendicité à la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). « Cette interdiction est une violation de la liberté personnelle, de la liberté d’expression et de la liberté de croyance », estime Me Xavier Rubli, avocat des recourants. « Être assis par terre et mendier, c’est un cri de détresse, c’est une façon de s’exprimer. On autorise le démarchage commercial dans la rue, mais pas le fait de demander de l’aide, c’est indigne. Le but est clairement de faire disparaître ces personnes qui nous dérangent, de cacher la misère et non de lutter contre. J’ajoute que l’argument de la protection contre les réseaux de mendiants n’a pas lieu d’être, puisque selon les recherches effectuées, il n’y en a pas à Lausanne ni dans le canton de Vaud. Enfin, interdire la mendicité, c’est aussi empêcher les citoyens qui le souhaitent de donner l’aumône. »  Le processus va maintenant prendre du temps, sûrement plusieurs années avant qu’une réponse de la CEDH ne soit donnée. « Il y a 150 000 dossiers en attente devant la CEDH », termine Xavier Rubli.

 

Poursuivre l’accueil compatissant

Dans ce contexte, l’Armée du Salut de Lausanne continue offrir des permanences hebdomadaires, tous les vendredis. « Nous avons constaté l’impact de cette loi sur l’accueil à bas seuil », explique la major Christine Staïesse, officière de l’Armée du Salut. « De 60 personnes durant l’hiver, on est passé à 15 lors de l’entrée en vigueur de la loi, et maintenant cela augmente gentiment à 30. » La situation étant tellement catastrophique en Europe, de plus en plus de Rroms reviennent désormais en Suisse dans l’espoir de trouver une solution viable et digne. « Nous sommes témoins des recherches d’emploi, des envois de CV, des entretiens qui sont passés. L’interdiction de la mendicité n’a fait que renforcer le sentiment de rejet de cette population, mais n’a aucunement diminué la précarité. Mais nous croyons que l’amour est plus fort que l’exclusion, alors nous continuons à nous battre et à apporter notre soutien. »

Auteur
Sébastien Goetschmann

Publié le
12.4.2019