L’accueil à l’hôtel de femmes sans domicile se poursuit avec succès

L’accueil à l’hôtel de femmes sans domicile se poursuit avec succès

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Cette expérience pilote, à l’initiative de l’Armée du salut, permet d’héberger dix femmes à l’Hôtel Bel’Espérance.

Dans son intervention du jeudi 17 septembre à Sécheron, la conseillère administrative Christina Kitsos, en charge du Département de la cohésion sociale et de la solidarité, a dressé l’état des lieux de l’accueil d’urgence à Genève. Auditoire captif et moment bien choisi: les professionnels de cet accueil-là fêtaient le chantier inaugural du Passage, qui ne sera pas un théâtre comme à Neuchâtel, mais un bâtiment en bois de quatre étages permettant d’assurer l’hébergement nocturne de 90 personnes à la fois, des femmes et des hommes sans domicile fixe à Genève. Geste bâtisseur, en commençant par poser les fondations d’une adresse fixe, pérenne et hors sol. C’est exactement ce que défend, avec d’autres, la magistrate de la Ville, consciente que «l’on ne peut pas mener une vraie politique publique en la matière, si l’on doit changer de lieu tous les deux mois», engager à chaque fois des équipes à reculons, «en les mettant au régime des contrats d’auxiliaires».

On oublie la caserne des Vernets, dispositif de crise exorbitant, on se tourne vers des solutions durables et des modèles innovants. L’Armée du salut, «partenaire essentiel» au sein du réseau associatif, propose les deux. Le Passage sera le sien, comme l’est déjà l’Hôtel Bel’Espérance en Vieille-Ville. Cet établissement hôtelier, unique en Suisse, offre depuis le mois de mars un accueil spécifiquement réservé aux femmes. Elles étaient une vingtaine au plus fort de la pandémie.

Elles sont aujourd’hui dix pour autant de chambres individuelles, «leur maison», attribuées à chacune pour une durée de séjour de trois mois renouvelable, l’expérience pilote disposant d’un financement garanti jusqu’à fin février 2021. Mais aussi d’une coordinatrice, Aude Bumbacher, travailleuse sociale, ancienne responsable du bateau Genève. La voici à son tour en chambre d’hôtel, assise à son bureau de poche, face à la petite cuisine, située côté cour, dans laquelle les bénéficiaires peuvent prendre leur repas chaud, livré par le Traiteur de Châtelaine. «Les femmes retenues l’ont été sur la base de leur capacité à se montrer suffisamment autonomes, à vivre ici sans veilleur ni éducateur, explique Aude. Les autres ont été redirigées vers Franck-Thomas, aux Eaux-Vives», l’une des structures gérées par les services sociaux de la Ville.

«Au départ, sachant qu’il n’y avait personne la nuit, ma peur était que mon téléphone portable sonne sans arrêt, poursuit Aude. Mais non, c’est le contraire qui s’est produit: l’autonomie assumée se marque comme un retour à une sorte de normalité, les femmes qui vont et viennent au gré de leurs occupations, certaines ont un travail à l’extérieur, sont considérées comme des clientes de l’hôtel.» On sort ainsi de la simple mise à l’abri nocturne. «Même si l’on reste dans une logique d’accueil d’urgence – les femmes que j’accompagne n’ont ni toit ni moyens de subsistance –, on offre quand même un hébergement de stabilisation», précise la travailleuse sociale en utilisant les mots du métier qui est le sien. En chambre ou sur la terrasse du même hôtel, des entretiens d’orientation personnelle avec celles qui sont parfois les premières victimes de la pandémie.

À l’exemple de cette dame d’origine moldave, la cinquantaine, travaillant dans une usine en Allemagne, dont le bus qui devait la ramener au pays s’est arrêté à la frontière germano-suisse, la laissant sur la route, aux portes d’une errance forcée à travers l’Europe. D’autres ont fait des demandes de permis humanitaire en raison de problèmes de santé. «Moi, je fais le relais nécessaire, je les dirige au bon endroit, j’apprends aussi à décoder les directives administratives», ajoute leur interlocutrice privilégiée. Pour autant, le Bel’Espérance n’est pas un foyer, même s’il en porte encore la mention historique sur la partie supérieure de sa façade (lire ci-dessous). Cet hébergement accompagné veille à ne pas entretenir non plus de fausses illusions.

La régularisation, ce mot qui compte trop de syllabes, peut s’entendre comme un rêve impossible. D’aucunes poursuivront après-demain leur parcours migratoire. Cet accueil de femmes en chambres d’hôtel a ouvert cet été une deuxième adresse, pilotée à distance par la même coordinatrice. Soit l’auberge de jeunesse des Pâquis. L’impulsion est venue du Centre de la Roseraie et de son directeur, Fabrice Roman.

Il fallait répondre sans tarder à des situations de grande détresse. Trois chambres ont été réquisitionnées, en convenant du prix avec l’hébergeur. Deux sont en configuration dortoir, la troisième permet d’accueillir une mère et son enfant. Sept femmes logent ainsi aux Pâquis, au milieu de la clientèle de tous les jours. L’avis de l’hôtelier Et qu’en pense l’hôtelier, un homme à la corpulence généreuse comme son sourire? Il s’appelle Alain Meuwly, dirige le Bel’Espérance depuis cinq ans et pense le plus grand bien de cet hébergement extraordinaire, dans la prestation offerte et la clientèle concernée.

À ses yeux, l’initiative prise répond à la vocation d’accueil chrétien du lieu, l’autre, plus résolument lucrative, étant de reverser les bénéfices à l’action sociale de l’Armée du salut à Genève. «Je dis souvent à mes propres clients qu’une nuit passée à l’hôtel permet à un SDF de dormir au chaud dans les murs de notre accueil à Galiffe.» Sauf que les clients, aussi fidèles soient-ils, sont plutôt à envoyer chaque jour des mails d’annulation, au gré des décisions sanitaires propres à chacun de leurs pays. «On ne sait pas quand les affaires vont reprendre, on sait quand elles ont chuté, glisse Alain en oubliant son sourire. Le 28 février au matin, l’hôtel était plein, on affichait complet, comme tous les confrères à la veille du Salon de l’auto.

En moins d’un jour, il s’est vidé, je n’avais jamais vécu chose pareille.» On répète volontiers qu’une chambre pas vendue est une chambre perdue. «Quand je pense à certains hôtels standardisés de la place, durablement sous-occupés eux aussi, je me dis que l’expérience qui est la nôtre en ce moment serait jouable ailleurs. Il suffirait de créer une plateforme commune, sur laquelle seraient indiquées les chambres disponibles, en fixant un nombre pour chaque adresse, en se mettant d’accord sur la contrepartie financière garantissant à l’hôtelier la rentrée d’argent nécessaire à son exercice.» Et les travailleurs sociaux, dans tout cela? Ils formeraient des équipes mobiles, se déplaçant à vélo d’une adresse à l’autre.

Aude Bumbacher le fait déjà, de la Vieille-Ville aux Pâquis. Ce projet, le Collectif d’associations pour l’urgence sociale (CAUSE) y croit beaucoup. Votre nom L’entrée du Bel’Espérance, à la rue de la Vallée, en contrebas du Collège Calvin.Magali Girardin Aude Bumbacher, travailleuse sociale, sur la terrasse du Bel’Espérance. Nommée par l’Armée du salut, elle coordonne cet accueil réservé aux femmes SDF.

Magali Girardin Agostinha, dans sa chambre du Bel’Espérance. Originaire du Brésil, elle est l’une des dix femmes accueillies par l’Armée du salut.Magali Girardin Un réfrigérateur à casiers multiples remplace le minibar en chambre. Il sert désormais pour garder au frais les repas confectionnés à l’extérieur. Les femmes qui en bénéficient disposent ainsi d’une petite cuisine où elles peuvent manger.
 

L’avis de l’hôtelier

Et qu’en pense l’hôtelier, un homme à la corpulence généreuse comme son sourire? Il s’appelle Alain Meuwly, dirige le Bel’Espérance depuis cinq ans et pense le plus grand bien de cet hébergement extraordinaire, dans la prestation offerte et la clientèle concernée. À ses yeux, l’initiative prise répond à la vocation d’accueil chrétien du lieu, l’autre, plus résolument lucrative, étant de reverser les bénéfices à l’action sociale de l’Armée du salut à Genève. «Je dis souvent à mes propres clients qu’une nuit passée à l’hôtel permet à un SDF de dormir au chaud dans les murs de notre accueil à Galiffe.» Sauf que les clients, aussi fidèles soient-ils, sont plutôt à envoyer chaque jour des mails d’annulation, au gré des décisions sanitaires propres à chacun de leurs pays. «On ne sait pas quand les affaires vont reprendre, on sait quand elles ont chuté, glisse Alain en oubliant son sourire. Le 28 février au matin, l’hôtel était plein, on affichait complet, comme tous les confrères à la veille du Salon de l’auto. En moins d’un jour, il s’est vidé, je n’avais jamais vécu chose pareille.» On répète volontiers qu’une chambre pas vendue est une chambre perdue. «Quand je pense à certains hôtels standardisés de la place, durablement sous-occupés eux aussi, je me dis que l’expérience qui est la nôtre en ce moment serait jouable ailleurs. Il suffirait de créer une plateforme commune, sur laquelle seraient indiquées les chambres disponibles, en fixant un nombre pour chaque adresse, en se mettant d’accord sur la contrepartie financière garantissant à l’hôtelier la rentrée d’argent nécessaire à son exercice.» Et les travailleurs sociaux, dans tout cela? Ils formeraient des équipes mobiles, se déplaçant à vélo d’une adresse à l’autre. Aude Bumbacher le fait déjà, de la Vieille-Ville aux Pâquis. Ce projet, le Collectif d’associations pour l’urgence sociale (CAUSE) y croit beaucoup.

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Source: Tribune de Genève (01.10.2020)

Publié le
1.10.2020