En route avec mon prochain pour plus d'humanité

En route avec mon prochain pour plus d'humanité

Le Général André Cox (R) avec une personne sans domicile fixe.
Le Général André Cox (R) avec une personne sans domicile fixe.
© Cécile Clément / Libre de droits

Karl Marx et William Booth: Deux hommes, deux analyses différentes d'une même souffrance, deux voies d'action. 

Paru dans le magazine Itinéraires en juin 2020

A la fin du 19ème siècle, en pleine révolution industrielle, deux hommes sont interpellés par la misère humaine et l'extrême pauvreté dans laquelle vivent de nombreuses familles : Karl Marx et William Booth. Alors que Karl Marx s'intéresse à la condition humaine et développe une approche matérialiste de la misère qui pèse principalement sur les épaules de la classe ouvrière, William Booth mise sur une possible transformation de la nature humaine grâce à la conversion.

Deux hommes, deux analyses différentes d'une même souffrance, deux voies d'action. 

Lorsque nous pensons à Karl Marx, la première citation qui nous vient à l'esprit est celle-ci : "La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple". Pour lui, la religion a renforcé l'inégalité des classes, et grandement soutenu ceux qui possédaient la richesse et le pouvoir. La religion donne une vision fataliste de la société; elle empêche l'individu de réagir en le berçant de douces illusions. 

Personne n'aime entendre que son organisation, sa communauté sert à endormir les personnes qu'elles désirent aider. Et pourtant, la tentation peut être grande de chercher dans la religion un espace où oublier la réalité de la vie, rêver à une issue magique et à une prospérité facile. Si notre religion sert à nourrir de tels rêves, alors Marx a raison d'appeler à son rejet pour enfin faire face à la réalité, et nous avons grandement besoin de nous remettre en question.  
William Booth s'est aussi laissé interpeller par le manque d'impact du christianisme sur les problèmes de société qu'il observe autour de lui : il côtoie des familles détruites par l'alcool, des mères forcées de se prostituer pour nourrir leurs enfants et "au milieu du luxe, de la civilisation et de la philanthropie de notre nation chrétienne".

Alors que Marx proclame que la religion entretient la misère en "hypnotisant" ses victimes, William Booth mise sur des messages percutants, fondés sur la Parole de Dieu qui permettent un réel changement, qui préparent le terrain de la nature hu-maine à une vraie transformation du cœur. Pour lui, il y a un lien très clair entre la misère et des choix liés à un détournement de l'homme d'avec son Dieu. 

La force de William Booth et de l'Armée du Salut est de ne pas s'être contenté de créer un mouvement religieux supplémen-taire. Très vite, différentes actions et centres sociaux sont développés pour permettre un réel changement de vie:  le motto bien connu "soupe, salon, salut" l'explique : d'abord on couvre les besoins de bases, ensuite on redonne sa dignité à celui qui cherche notre aide, puis on l'invite à considérer le Christ comme son Sauveur personnel. Beaucoup de vies ont été transformées, et cela a souvent changé des familles entières.

Les religions actuelles

Aujourd'hui, l'Armée du Salut est invitée à remplir sa mission dans une société de moins en moins encline à mettre en avant les valeurs chrétiennes. Son objectif est toujours de partager l'Evangile et de soulager l'humanité souffrante. Mais les raisons de cette souffrance semblent de plus en plus complexes : l'homme est victime des conflits armés, pris dans le fléau de la traite des êtres humains, il cache sa pauvreté dans une société relativement aisée, il grandit dans un milieu sans repère où tout semble possible et permis, où tout lui est dû : la liberté de l'individu prime sur la responsabilité partagée par toute une communauté. 

L'être humain évolue dans un monde qui lui offre de plus en plus de possibilités de fuir sa réalité : dans les loisirs, la drogue, le travail par exemple. Sa solitude est camouflée derrière les relations superficielles que lui offrent les réseaux sociaux. La "religion" dont parlait Karl Marx a été largement remplacée.

La faim physique, dans nos pays occidentaux est souvent remplacée par une faim spirituelle, un besoin de retrouver un sens à sa vie, un espace de parole pour déposer ses questions. La soupe ne suffit plus pour entamer un processus de transformation, la dignité a changé de visage : il s’agit aujourd’hui d'être performant, beau et éternellement jeune. Dans un tel contexte, comment accompagner l'écorché, le handicapé, le pauvre ou la personne en proie à ses démons intérieurs ?

En 2019, l'Armée du Salut en Suisse a pris le temps de redéfinir sa vision. La voici: 

En route avec son prochain vers plus d'humanité.  

Dans la brochure qui écrit cette vision, nous lisons que "l'Armée du Salut croit et agit en mettant Jésus-Christ au centre". Son objectif est que "grâce à elle, hommes et femmes expérimentent l’amour de Dieu en vivant et partageant des rencontres empreintes de dignité et d’appartenance vécue."

Pour elle, aller vers pour plus d'humanité signifie "s'engager pour plus de justice, d’espérance et d’amour". Elle le fait en transmettant l'espérance que l'Evangile propose. Elle se propose d'être inclusive et de cheminer avec les personnes en détresse pour les aider à trouver leurs propres solutions. "Ainsi", dit-elle, "nous encourageons une vie digne, autonome et remplie de sens."

Une vision pas si nouvelle que cela

Le Christ aussi, a choisi de cheminer avec nous. Il est Dieu avec nous, partageant tous les aspects de notre vie humaine de la naissance à l'angoisse de la mort. Il côtoie le péager, la prostituée, partage la douleur d'un père devant la souffrance de son enfant, les larmes de deux sœurs devant le décès de leur frère. Il a faim et soif, connait la solitude et la tentation. Et pourtant, il reste proche de son père, véritable lumière pour notre humanité, parole révélée et preuve de l'amour divin à notre égard.

C'est dans le cœur de l'homme que doit naitre le désir de changer, à nous de lui offrir le terrain propice au dévoilement de ses besoins les plus profonds.

Soyons, en paroles et en actes, les témoins et les messagers de l'amour inconditionnel de Dieu.

Sources:

Karl Marx, Critique de la philosophie du droit de Hegel cité dans Wikipedia
Karl Marx cité par Frederick de Coninck dans Marx, le christianisme et la misère
 

Auteur
Major Christine Volet, Porte-parole

Publié le
17.6.2020